Peinture et littérature au XIXème siècle, noces barbares
Peinture et littérature au XIXème siècle, noces barbares
« Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs »
Son condisciple, Théophile Gautier (1811-1872), aura aimé l’audace qui célèbre les noces parfois barbares de la littérature et de la peinture.
Les temps s’y prêtent qui offrent aux gens de plume une multitude foisonnante de feuilles de choux, pour aiguiser leur rogne et assurer leur pitance. Gautier, Zola, Balzac, Baudelaire… tant d’autres encore briseront d’abondance quelques lames et autant de mots de L’illustration au Figaro, du Musée des familles à la revue de Paris, du Temps à la revue Des deux mondes. Diderot avait donné à la critique ses lettres de noblesse, ses héritiers, au XIXème siècle, la feront entrée dans l’usage. La plume installe au cœur de l’actualité la peinture, la portant sur les cimes ou la faisant dégringoler dans l’opprobre.
Les impressionnistes seront ainsi hissés au firmament de la modernité malgré, parfois, la rudesse de leurs exégètes. De salon en salon, ils accompagnent ceux qui osent exposer et s’exposer. « M. Manet a une certaine action sur la peinture contemporaine, écrit donc Théophile Gautier, et cette action il la doit à une seule chose : la persistance du ton local qu’il maintient d’un bout à l’autre de ses figures, ce qui leur donne une unité puissante, en dépit des fautes de dessin et de perspective, des maladresses et des barbaries d’exécution, faites pour rebuter les moins délicats. Ce ton local est ordinairement assez fin et montre chez l’artiste un sentiment sommaire mais juste de la couleur ». Il y a parfois du peintre contrarié, ou inachevé, chez ceux qui chassent l’impression, l’éblouissement, le rejet. Gautier lâche pourtant, comme un aveu, « le critique qui n’a rien produit est un lâche ».
Parmi ces artistes contrariés Charles Baudelaire (1821-1867), jaloux autant qu’admiratif de ses contemporains. Avant que d’éreinter les peintres, ou de les sanctifier, il plantait sa plume incisive dans le cuir des plus grands comme Honoré de Balzac (1799-1850). De ce peintre fécond de la société, l’auteur des Fleurs du mal ne pouvait que médire en assurant qu’il avait « l’ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir ». Et le critique d’art était subjugué par ce foisonnement d’images qu’il subissait chez Balzac et qu’il recherchait en peinture : « ma grande, mon unique, ma primitive passion ».
Les terrains de chasse sont tout désignés pour la critique. On expose dans tous les sens du terme les peintres dans les salons, une tradition instaurée par Colbert en 1667 et qui prospère au XIXème siècle. Dans ces espaces très officiels le ministère des Beaux-Arts sélectionnera les œuvres qui iront peut-être au Louvre après avoir transité par le musée du Luxembourg. Il faudra un Salon des Refusés, en 1863, pour que la critique se déchire sur les audaces comme l’insoumission aux règles des impressionnistes. Le déjeuner sur l’herbe y fait scandale que n’atténuera pas l’éloge d’Emile Zola parlant « de la plus grande toile d’Edouard Manet ». Baudelaire l’avait défendu à sa façon en parlant de la « vigueur peu commune » de l’artiste mais c’est Zacharie Astruc (1833-1907), critique d’art, qui pressent alors le mieux la révolution qu’incarne Manet :« Sa grande intelligence, beau fruit encore un peu vert et âpre - fort mauvais, je l'avoue, pour des lèvres trop minaudières - demande à fonctionner librement dans une sphère nouvelle qu'il vivifiera ».
Ainsi iront gens de plume ou de pinceau en cette seconde partie du XIXème siècle s’éreintant ou s’embrassant avec la même certitude. Celle d’avoir bousculé un monde comme s’en émeut en 1866, dans une lettre à Paul Cézanne, Emile Zola : « Nous affirmions que les maîtres, les génies, sont des créateurs qui, chacun, ont créé un monde de toutes pièces, et nous refusions les disciples, les impuissants, ceux dont le métier est de voler çà et là quelques bribes d’originalité. Sais-tu que nous étions des révolutionnaires sans le savoir ! »