Les chemins de la liberté picturale

Les chemins de la liberté picturale

L’impressionnisme ne peut se réduire à un moment de l’histoire de l’Art. Il marque une rupture avec l’académisme, autant qu’il ouvre des chemins multiples où s’exprimera une liberté picturale infinie.

Camille Pissarro, primauté à la sensation

Le « premier des impressionnistes », selon le mot de Cézanne, va pratiquer une écriture picturale où la sensation s’impose. Camille Pissarro trouvera dans les paysages les nuances infinies qui nourrissent sa touche. Du givre des matins champêtres aux reflets tremblants des fleuves, sa palette s’enrichit d’infinies couleurs complémentaires qui se percutent, s’additionnent, se fondent. Le vieil anarchiste n’eut de cesse d’organiser ce désordre par le travail.

Claude Monet et la lumière fut

Et vint la lumière. Monet la découvre, en même temps que le mouvement. La nature retrouvée au sortir de l’atelier qui limitait l’expression, Monet va se frotter à cette réalité multiple, et l’aborder avec un « œil neuf ». Les changements sont radicaux : de la palette, à la construction de la toile, sans oublier le traitement de l’ombre et sa riche complexité. Le traitement de la couleur s’en trouve bouleversé. Monet s’attache à la saisir, dans sa mouvance qui gomme le dessin et restitue l’infinie diversité de la lumière.

 

Daubigny, le précurseur paysagiste

Henry de la Madelène, critique d’art, l’assurait en 1853 : « L’école des paysagistes est en ce moment la véritable gloire artistique de la France ». Charles-François Daubigny est de ceux-là. Il impose un traitement subtil des détails dans ses paysages, autant qu’une approche d’une grande finesse des nuances. L’absence d’une présence humaine, dans nombre de ses œuvres, accroît la mélancolie qu’elles induisent. Daubigny influencera, par la pugnacité qui marque son immersion dans la nature, d’autres maîtres, comme Cézanne ou Van Gogh.

 

Berthe Morizot, la grâce féminine

Albert Wolff, journaliste au Figaro, relate une des premières apparitions de Berthe Morisot, au sein des impressionnistes : « Il y a aussi une femme dans le groupe comme dans toutes les bandes fameuses ; elle s’appelle Berthe Morisot et, est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d’un esprit en délire. » Celle qui troublait ainsi le monde des arts, poussa le système impressionniste à l’extrême, sans pour autant renoncer à ses grandes qualités de coloriste. Elle en arriva, selon la critique encore, à percevoir « jusqu’au mouvement de chaque chose inanimée ». Elle poussera la provocation jusqu’à estomper les formes à l’extrême. Ce qui n’enlèvera rien à la « sensibilité » de sa production.

Van Gogh, le jaune qui hurle

Et le jaune envahit l’œuvre et la vie de Vincent Van Gogh. La couleur s’installe en un entêtement forcené, et l’univers du peintre balance entre joie intense et angoisse indicible. Le jaune est la « clarté suprême de l’amour » se confie Van Gogh au pionnier du symbolisme, Emile Bernard. Il parle plus précisément, de « la haute note », comme il l’écrit à son frère Théo. Il tentera de l’atteindre jusqu’à, tel Icare, s’y brûler. Il l’associe au bleu et l’infini, auquel il tend, mais finit toujours par se revenir au jaune qui « hurle ». Comme lui, hurlera sa détresse sans limite. (La nature morte aux livres)

Cézanne et la vérité de la peinture

« Dans un bon tableau, comme je le rêve, il y a une unité. Le dessin et la couleur ne sont plus distincts ; au fur et à mesure que l’on peint, on dessine ; plus la couleur s’harmonise, plus le dessin se précise. Voilà ce que je sais, d’expérience. Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude. » Dans son inlassable recherche, Paul Cézanne aura remis, toute une vie, l’ouvrage sur le chevalet. Il recherche « la vérité de la peinture » sans vouloir trancher entre « les sens » et « l’intelligence ». Et la couleur sera, chez Cézanne, « l’endroit où notre cerveau et l’univers se rejoignent ».

Edgar Degas un art photographique

Sa formation classique éloignée, Edgar Degas pouvait apporter au mouvement impressionniste sa singularité. Elle réside, pour partie, dans sa manière de composer une œuvre et d’y maîtriser le mouvement. Un maître portraitiste dont la technique précède l’art photographique qui n’en est qu’à ses balbutiements. C’est la réalité objective que Degas oppose désormais à l’art empesé des académies. Il sera le témoin du milieu aristocratique et dandy, dans lequel il évolue. Même s’il se défend d’un art spontané, ses œuvres sont autant d’instantanés d’une fulgurance inouïe.

Auguste Renoir, le corps en vie

« Ce que j’aime c’est la peau, une peau de jeune fille, rosée et laissant deviner une heureuse circulation. Ce que j’aime surtout, c’est la sérénité. » Ainsi parlait Auguste Renoir, priant sa palette de la restituer. Le nu qui peuple en diatribes toute l’histoire de l’Art, s’installe en majesté dans sa manière. Parce que Renoir laisse parler sa sincérité et restitue « la fluidité de la forme vivante », selon l’expression du peintre Maurice Denis. Nacrés ou couleur groseille, les nus de Renoir sont d’abord une ode à la femme : « Si Dieu n’avait créé la gorge de la femme, je ne sais pas si j’aurais été peintre. » Et Renoir de s’enthousiasmer de « pouvoir nager dans les modelés ».

Gauguin fait un sort au réel

Il a brutalisé Van Gogh, en l’adjurant de prendre distance avec les couleurs de la réalité. A l’école de Pont Aven, avec Emile Bernard, il consacre l’avènement du cloisonnisme. Il impose cette surface de couleur sans dégradés et volumes, qu’on nomme aplat, et cerne les couleurs à la manière des vitraux ou des estampes japonaises. La perspective est écartée, au profit de formes identifiées par leur seule taille. Il est dès lors question d’exprimer des réalités spirituelles plutôt que figuratives. Les œuvres, comme le « Christ Jaune », témoigne des difficultés de l’artiste, incompris ou méprisé.

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