Le portrait tel que Cézanne, Pissarro, Van Gogh…

Le portrait tel que Cézanne, Pissarro, Van Gogh…

Aristote avait tout dit… ou presque : « Le but de l'art n'est pas de présenter l'aspect extérieur des choses, mais leur signification intérieure ». L’art du portrait devait, à bien des égards, dans la seconde partie du XIXème siècle, répondre à ce vœu. Les impressionnistes s’imposeraient après les néo-classiques, les romantiques et les réalistes. Point d’apparat, de coups de pinceaux acérés et d’éclairage magnifié, et puis et surtout après les aristocrates, les classes moyennes, voici venu le temps de fixer sur la toile des gens simples, des atmosphères domestiques, de la rusticité.

A l’instar de Cézanne, qui le confesse, «la lecture du modèle, et sa réalisation, est quelquefois très lente à venir pour l'artiste », les Pissarro, Van Gogh, et tous les autres, vont chercher éperdument à pénétrer au plus profond de ce que livre, un regard, un visage, une attitude. Paul Signac décrypte cette quête à propos de Cézanne : « Descendant direct de Corot, il ne recherche pas l'éclat par l'opposition, comme Delacroix, mais la douceur par des rapprochements ; il se gardera bien de juxtaposer deux teintes éloignées pour obtenir par leur contraste une note vibrante, mais s'évertuera, au contraire, à diminuer la distance de ces deux teintes par l'introduction, dans chacune d'elles, d'éléments intermédiaires, qu'il appelle des passages ».

Cette « peinture de maçon » comme l’a décrit un ami du peintre provençal, Antony Valabrègue, va révéler, sous le couteau volontaire, des modulations chromatiques subtiles que l’épaisseur de la pâte n’altère pas. La touche, de celui qui admire Pissarro, se fait plus légère et la couleur s’impose dans tous ses éclats. Les nuances de bleu, de rouge, de noir, associées à un traitement à la fois brutal et évident des formes et des volumes, laissent pointer des bouleversements à venir, dont s’inspireront les cubistes (Madame Cézanne cousant, 1877).

Camille Pissarro avait précédé son ami en d’autres audaces. Il avait certes appris le nu à l’académie Suisse - fréquentée épisodiquement - mais la proximité avec Monet, Guillaumin ou encore Cézanne enrichirait durablement son art. Il ira jusqu’au pointillisme, tout en gardant une certaine distance libertaire. Mais au-delà des contrastes dans les couleurs et de ses touches de plus en plus petites, on retiendra sa manière de mettre en scène le modèle. La vie domestique, dont il peut user sans délier bourse, sera un puits sans fond pour Pissarro. Il rompt avec les canons du classicisme, imposant souvent un sujet décentré par rapport à l’axe du tableau, mais sur lequel l’œil se focalise, car il est le seul élément en mouvement de la composition (La bonne de campagne, 1882).

Et puis qui dit portrait pense immanquablement autoportrait et à Van Gogh bien sûr. A sa sœur, il écrit avec une candeur absolue : "J'ai toujours eu la croyance que par les portraits on apprend à réfléchir. Ce n'est pas ce qui plait le plus aux amateurs, mais un portrait est quelque chose de presque utile et parfois agréable, comme les meubles qu'on connaît, cela rappelle des souvenirs longtemps". Il ne pensait pas alors à ce funeste mois de décembre 1888, où il se mutilerait. Puis il se calerait à nouveau devant le miroir pour, quelques jours plus tard, en janvier 1889, réaliser le plus saisissant autoportrait de l’histoire de l’art. Il combine, sans qu’elles se percutent, les couleurs qu’il affecte, le rouge, le bleu, le jaune, puis le vert, le violet et l’orange. Le blanc et le noir donnent relief au bandage immaculé qui cache sa mutilation, au bonnet épais qui coiffe son visage fatigué, à la pipe qui dit un certain apaisement. Chaque couleur a son rôle et l’organisation du tableau, par plans successifs, contribue à la vérité qui s’en échappe. Van Gogh apparaît comme un vieil homme. Il n’a que 35 ans et il agonisera dans quelques semaines à Auvers-sur-Oise.

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